La presse, l’un des secteurs les plus secoués par la révolution numérique (par Francis Morel, pdg groupe Les Échos)

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A l’image de l’industrie numérique il y a quelques années, la presse est l’un des secteurs d’activité les plus secoués par la révolution numérique. Partout dans le monde, l’économie de la presse est ébranlée au cœur de son modèle, aussi bien dans son usage que dans ses revenus.

Concernant les usages, la consommation de la presse papier baisse de manière tendancielle, le phénomène s’accélérant depuis l’avènement du mobile qui prend du budget-temps aux autres médias. Les diffusions par la vente au numéro, qui était autrefois le premier canal de distribution, souffre de cette évolution.

Parmi les sujets de préoccupation pour la presse : ses revenus et la viabilité de son modèle économique.

Par contre, sur le numérique, les marques de presse, en particulier celles des quotidiens, ont réussi à générer de nouvelles audiences et s’installent souvent aux premières places des sources d’information les plus consultées. Mais elles affrontent des modes de consommation qui entraînent la forte consommation « off-platform » : Facebook est ainsi le premier média d’information mondial sans produire le moindre contenu. Sur ces plateformes, les marques de presse peuvent toucher des bassins d’audience très larges, des cibles auparavant difficilement accessibles (par exemple les jeunes), mais dont la connaissance du consommateur leur échappe.

Deuxième sujet de préoccupation pour la presse : ses revenus et la viabilité de son modèle économique. Durant les années 2000, une majorité d’éditeurs faisait le choix d’un modèle centré sur la publicité qui reposait sur un pari qui s’est avéré au final un terrible échec : produire beaucoup de contenus, les diffuser gratuitement au plus grand nombre et commercialiser aux annonceurs une masse d’inventaires. D’où une course effrénée à l’audience qui n’a pas construit un socle solide ou vertueux. Le consommateur s’est habitué à la gratuité de l’information et à une certaine uniformisation. Quant à la publicité numérique, l’essentiel de la valeur a finalement été captée par les GAFA (Google et Facebook pèsent les deux tiers du marché) et cela ne va pas en s’arrangeant (ces deux mêmes acteurs captent 85% de la croissance actuelle de la publicité numérique).

Au bout du compte, le problème de la presse n’est pas tant l’érosion du papier que la contribution insuffisante du numérique comme véritable relais de croissance. En matière d’abonnement, 1€ issu du papier s’est converti en 0,50€ en numérique. En publicité, la perte de valeur est pire : 1€ rapporté par le papier pour 0,10€ par le numérique.

De nombreux confrères font comme moi ce diagnostic.

Pour autant, je crois résolument dans l’avenir des marques de presse.

Ma conviction n’est pas un vœu pieux.

J’y crois parce que je n’imagine pas nos démocraties sans un journalisme de qualité. A mes yeux, la presse est la mieux armée.

C’est elle qui recèle souvent le plus de talents, d’expertises, de ressources éditoriales. Si elle reste forte dans ses principes, elle est en mesure de s’attaquer aux deux dangers qui contribuent à la défiance à l’encontre des médias et que les récentes périodes électorales ont exacerbés (par exemple aux Etats-Unis) : le syndrome du « breaking news » qui nuit à la prise de recul sur l’actualité et la prolifération des « fake news » qui entache la crédibilité de l’information.

Je crois aussi dans les marques de presse parce que mon expérience aux Echos me rappelle qu’il n’y a pas de fatalité au déclin. Cette entreprise était largement déficitaire il y a seulement cinq ans. Depuis trois ans, sa situation économique est positive. En hausse pour la septième année consécutive, la diffusion du quotidien a atteint un record historique en 2016. L’entreprise s’est transformée car, avec ses équipes, elle a réussi à changer de paradigme.

Auparavant, notre métier consistait à produire un quotidien économique papier pour les décideurs et les entreprises. Cela conditionnait nos modes de fonctionnement et notre stratégie commerciale. Désormais, notre vocation est d’adresser à cette audience un journalisme de qualité quel que soit le support et dans tous les formats possibles. Mais pas seulement. Nous l’accompagnons également dans le pilotage de son business avec une gamme de services et de conseils aux entreprises. Et surtout, nous avons toujours revendiqué un modèle payant car nos contenus sont notre première valeur. A la même période que le New York Times et le Financial Times, Les Echos fut la première marque de presse en France à installer un paywall sur son site Internet, l’acte fondateur de sa nouvelle stratégie de développement.

Mais rien n’est jamais acquis. Notre développement sera pérenne si nous parvenons à relever cinq défis qui sont autant de challenges pour la presse à l’ère du numérique dominant. Notre obsession doit être celui de la reconquête de la valeur.

  1. Réfléchir en permanence à l’élaboration de nouveaux produits éditoriaux dans deux directions : réaffirmer la priorité du journalisme de qualité (qui vérifie / certifie le décryptage et l’investigation), adapter le mode d’expression et de communication pour tenir compte des innovations apportées par le digital et pouvoir toucher des audiences plus ciblées.
  2. Centrer notre modèle économique sur l’abonnement autour d’un triptyque : information / événements / services & e-commerce. Pour combler l’écart de marge entre le papier et le numérique, nous avons l’obligation d’aller vers des offres upgradées dans lesquelles le PDF seul ne suffit pas pour justifier des prix plus élevés.
  3. Pour accompagner ce mouvement, remettre la technologie au cœur de notre dispositif. La réussite dans le monde digital tient dans ce principe, les éditeurs de presse ne peuvent y échapper. Il s’agit de se doter des meilleurs outils pour optimiser l’expérience utilisateur (par exemple, tout ce qui permet de répondre au besoin de personnalisation), mieux connaître le consommateur (la data, données et algorithmes) et remonter ainsi dans la chaîne de valeur.
  4. Se repositionner rapidement dans l’écosystème publicitaire numérique en s’attelant à la seule question qui vaille : comment retrouver la taille critique. Le faire seul me parait illusoire et perdu d’avance car les éditeurs, même les plus puissants d’entre eux, ne possèdent pas les armes pour proposer au marché une alternative à la domination actuelle des GAFA. Ces armes sont la puissance en terme d’audience (être capable tous les jours de toucher plus de 1 français sur 2) et de data (les données « first party » au premier chef), la technologie et les plateformes qui simplifient l’achat des annonceurs et des agences médias. Pour y parvenir, nouer des alliances est plus que jamais stratégique. Mon groupe fera prochainement des annonces qui iront dans ce sens.
  5. Accélérer la diversification des revenus dans des activités hors média. Une marque de presse ne peut plus penser uniquement média et information. Même si le numérique apporte de la croissance, il ne suffira pas à combler la perte de valeur du papier. Une marque de presse doit se penser globale, se traduire en une déclinaison d’écosystèmes thématiques qui apportent à des audiences ciblées une offre on et off line, aussi bien en termes de contenus informatifs, de services que de produits hors média.

Ce que je sais, c’est que le produit papier reste le « flagship », celui sans lequel, encore aujourd’hui, aucun développement significatif n’est possible.

Quant à la presse papier ? On annonce sa disparition depuis une vingtaine d’années sans jamais la voir; mais je dois dire que ce n’est pas une préoccupation, vraiment pas.

Ce que je sais, c’est que le produit papier reste le « flagship », celui sans lequel, encore aujourd’hui, aucun développement significatif n’est possible. Aucun pure player ne peut proposer la même profondeur de contenus et le niveau d’expertise qu’une rédaction qui a la chance de s’appuyer sur un support papier. Je suis convaincu que jamais le redressement ni la transformation des Echos n’eût été possible sans un quotidien fort.

C’est le développement parallèle du papier et du digital qui garantiront notre futur.

Alors oui, vive les marques de presse !

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