L’industrie du luxe doit-elle redouter un “Grexit” ? (Source : Le Monde)

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Une sortie de l’euro et un éventuel retour des Grecs à la drachme toucherait forcément l’industrie du luxe. Par quels mécanismes ? Avec quelles conséquences pour le secteur ? Des pays ont-ils plus à craindre que d’autres ? Réponses.

Cela ressemble au scénario d’une tragédie de Sophocle. Dans le drame qui se joue actuellement autour de l’éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro, chaque partie a pris publiquement position. Le premier ministre grec, Alexis Tsipras, a qualifié les tactiques de l’Eurogroupe de « chantage » et « d’ultimatums ». Ce qui lui a valu une riposte cinglante du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker : « Il ne faut pas se suicider parce qu’on a peur de mourir. »

Les négociations entamées ces derniers jours pour tenter de sauver la Grèce du défaut de paiement n’ont rien donné. Les choses se sont accélérées vendredi 26 juin lorsqu’Alexis Tsipras a officiellement rejeté la proposition des créanciers de prolonger le plan d’aide à son pays, avant de soumettre cette proposition au vote populaire lors d’un référendum national qui doit se dérouler dimanche 5 juillet. Mais les leaders de l’Eurogroupe ont clairement affirmé que si le peuple grec refusait les mesures d’austérité qui accompagnent ce plan de sauvetage, il lui serait impossible de rester dans la zone euro. Comme l’a déclaré sans ménagement la chancelière allemande Angela Merkel, le vote de dimanche se résumera à un choix entre « l’euro et la drachme. »

La Grèce n’est pas un acteur majeur du secteur

Pour l’instant, les banques grecques sont fermées, les négociations de la dernière chance ont échoué et une sortie de la Grèce de la zone euro devient un scénario de plus en plus envisageable. Quelles en seraient les conséquences sur l’industrie du luxe ? Si les Grecs décident de revenir à la drachme, le monde du luxe ressentira moins les conqéquences que le pays lui-même, étant donné le faible rôle que joue la Grèce dans ce secteur. En effet, la Grèce n’est pas un acteur important de cette industrie, tant au niveau de la production que de la consommation. Le revenu disponible du pays n’a cessé de baisser depuis que la crise économique de 2008. Il a souffert encore davantage des mesures d’austérité mises en place depuis 2012.

« Une sortie de la Grèce n’aurait pas de conséquence directe », explique Luca Solca, responsable des produits de luxe chez BNP Exane Paribas, qui confirme que la Grèce n’est pas un marché important pour l’industrie du luxe. « Ce qui va avoir de l’importance pour ce secteur, ce sont les répercussions plus larges que cela pourrait avoir en termes de correction des marchés boursiers. »

La contagion par les bourses

En effet, une sortie de la Grèce de la zone euro aura un impact inévitable sur les bourses européennes et sur les taux de change. Un premier aperçu des conséquences du choix de la Grèce de refuser le plan d’aide s’est déjà fait sentir lundi 29 juin, quand les bourses ont chuté après l’annonce de la tenue d’un referendum.

« Lorsque le marché boursier entre en crise et que la situation économique est instable, les produits de luxe ne sont plus une priorité. » Mario Ortelli, analyste chez Sanford C. Benrstein

Les experts financiers s’accordent globalement pour dire que, jusqu’à présent, les effets de la crise grecque sur l’économie mondiale ont été limités. « Les marchés continuent de penser que les Grecs vont rester dans la zone euro, et qu’il ne s’agit que d’une tempête dans un verre d’eau », affirme Luca Solca. Pourtant, l’analyste estime que si les citoyens grecs votent non dimanche et refusent le plan d’aide de l’Eurogroupe, alors l’impact sur les taux et les bourses mondiales sera beaucoup plus important. Avec d’inévitables répercussions sur l’industrie du luxe.

Les effets d’une sortie de la Grèce de la zone euro sur le secteur du luxe dépendront aussi de la façon dont les dirigeants européens géreront la situation. Le premier ministre britannique, David Cameron, a d’ores et déjà annoncé que son gouvernement prévoyait des plans de contingence face à une telle situation. Luca Solca,  de son côté, s’attend à ce que la Banque centrale européenne et ses partenaires tentent de créer une sorte de pare-feu qui pourrait protéger les autres pays d’un effet de contagion.

Pourtant, même avec la mise en place de mesures pour atténuer les dommages pour le reste de l’Europe, l’industrie du luxe risquerait d’enregistrer une baisse de ses ventes. En effet, les moments d’instabilité économique se sont toujours accompagnés d’un ralentissement des dépenses discrétionnaires. « L’industrie du luxe est liée à la croissance économique », précise Mario Ortelli, analyste senior des produits de luxe chez Sanford C. Benrstein. Ce secteur prospère quand les consommateurs sont en mesure d’acheter des produits dont ils n’ont pas réellement besoin. « Lorsque le marché boursier entre en crise et que la situation économique est instable, alors les produits de luxe ne sont plus une priorité », insiste Mario Ortelli.

Et les baisses des ventes de produits de luxe ne se feraient pas sentir que chez les consommateurs européens. « Une sortie de la Grèce aurait des répercussions dans le monde entier », insiste Luca Solca. Les Etats-Unis, par exemple, pourraient assister à une correction à la baisse de leur marché actions, ce qui toucherait les consommateurs américains et pourrait entraîner une chute des ventes dans cette partie du monde.

Le marché Chinois un peu plus protégé

La consommation du luxe baisserait aussi en Chine, affirme l’analyste de BNP Exane Paribas, même si les effets seraient plus longs à se faire sentir. Historiquement, il y a moins d’interconnexion entre le marché chinois et les bourses européennes et américaine. Les dépenses discrétionnaires chinoises seraient donc un peu plus épargnées. Mais si l’Europe et les Etats-Unis voient leur croissance ralentir, alors la Chine en ressentira forcément les effets à terme.

Selon Mario Ortelli, l’impact de la crise grecque sur le taux de change de l’euro pourrait aussi avoir des conséquences importantes sur les prix. En effet, les marques de luxe, majoritairement basées au sein de la zone euro, effectuent leurs opérations en euros, mais la plupart de leurs clients viennent d’autres régions du monde. « Une baisse de l’euro par rapport aux autres monnaies accentuera les différentiels de prix avec les autres pays », pense Mario Ortelli.

Des prix cassés pour les consommateurs asiatiques ?

Les marques de luxe devraient donc faire face à d’importantes différencers de prix selon les pays. Pour l’analyste de Sanford C. Benrstein, elles seraient obligées d’opter rapidement pour une augmentation des tarifs en Europe ou pour une baisse partout ailleurs. Pour les clients asiatiques en particulier, les produits en euros pourraient devenir incroyablement attractifs. Le « Grexit »ayant des conséquences plus limitées sur le marché asiatique, les entreprises de luxe pourraient enregistrer une hausse des ventes en Europe de la part de clients installés en dehors de la zone euro. « On ne va pas aller acheter une canette de Coca en Allemagne parce qu’elle coûte moins cher qu’en Angleterre, mais si on est prêt à dépenser 3 000 euros pour un sac Chanel, alors une virée shopping à Paris peut sembler une bonne idée », conclut Mario Ortelli.

Par Helena Pike

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